Police judiciaire : une crise des vocations qui fragilise la réponse pénale
La filière investigation de la Police nationale traverse une crise sans précédent. Jadis perçue comme le cœur noble du métier de policier, l’activité d’enquête attire de moins en moins. À l’origine de cette désaffection : une complexification croissante de la procédure pénale, un encadrement inadapté, un manque de reconnaissance, et un projet de départementalisation contesté.
Les chiffres sont alarmants : le taux d’élucidation diminue tandis que les stocks de dossiers en attente explosent, atteignant près de 1,5 million de procédures. La Sécurité publique, en première ligne face à cette surcharge, voit ses brigades de sûreté urbaine (BSU) désertées au profit des unités de voie publique, plus compatibles avec une vie personnelle stable.
Une réforme structurelle en question
Pour remédier à cette situation, le ministère de l’Intérieur mise sur une augmentation du nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ), notamment en les formant dès l’école. Il prévoit également la fusion des services territoriaux de la Police judiciaire avec ceux de la Sécurité publique dans le cadre de la départementalisation des directions. Mais cette réforme suscite de vives critiques.
Les professionnels redoutent une dilution des compétences spécialisées : les services qui luttaient contre la criminalité organisée risquent d’être englués dans le traitement massif de la petite délinquance. La perte d’autonomie des « pé-jistes » et l’affaiblissement des services dédiés à la lutte contre le haut du spectre criminel pourraient compromettre durablement l’efficacité de la réponse pénale.
Une vocation en voie d’extinction ?
Les enquêteurs se heurtent à un quotidien usant : des horaires imprévisibles, une paperasserie envahissante, une reconnaissance limitée. Le sentiment d’inutilité gagne du terrain, d’autant plus que de nombreuses procédures sont classées sans suite, faute de moyens pour les mener à terme. Résultat : la démotivation est profonde.
La réforme de 1995, qui a supprimé les corps spécialisés (inspecteurs de police, enquêteurs), au profit de profils généralistes, a également contribué à affaiblir l’expertise. Aujourd’hui, de jeunes officiers, parfois peu expérimentés, encadrent des brigadiers chevronnés sans réelle maîtrise des arcanes de l’enquête pénale. La chaîne de commandement en souffre.
Le travail d’investigation, pourtant crucial dans la chaîne pénale, semble relégué. L’enquêteur d’hier, en quête de vérité, devient aujourd’hui un gestionnaire de procédures, privé d’autonomie et de visibilité sur les suites judiciaires de son travail.
La disparition progressive des services spécialisés territoriaux de la Police judiciaire aura des effets durables : le haut de la délinquance, plus complexe et plus dangereux, sera moins traité, au risque de voir se développer des réseaux criminels mieux structurés que les forces censées les combattre.
La situation actuelle révèle une crise systémique de l’investigation en France. À force de vouloir tout simplifier par la polyvalence, les réformes ont déstructuré les fondements même de la filière. Sans une prise de conscience politique forte et des réformes profondes orientées vers la spécialisation et la revalorisation du travail d’enquête, la justice pénale risque de perdre un de ses piliers essentiels.